Pour faire en quelque sorte suite à label la typologie des joueurs de jeu de rôle, je propose une typologie des maîtres de jeu. Évidemment, les styles de maîtres de jeu présentés sont des archétypes, voire des stéréotypes. La plupart des maîtres de jeu combinent plusieurs styles, et certains ne figurent dans aucune catégorie.

Cette typologie n’a pas la prétention d’être ni scientifique ni exhaustive. Mon objectif est simplement de catégoriser des tendances dans la manière de vivre son statut de maître de jeu afin de mieux gérer les attentes des joueurs. Dans cette présentation, j’essaie autant que possible de jumeler un style de maître de jeu avec un style de joueur. Pour finir cet avant-propos, il va de soi que cette typologie ne peut prendre en compte entièrement la diversité des différents statuts de maître de jeu, elle s’inscrit davantage dans ce qu’on appelle le jeu de rôle « traditionnel » plutôt que dans les jeux à autorité partagée.

À propos du terme “maître de jeu”

Je n’aime pas beaucoup le terme de maître de jeu. Celui de meneur de jeu non plus. Je n’aime pas les abréviations, donc MJ ne vaut guère mieux. Maître de jeu reste le terme le plus couramment employé, ou du moins c’est celui qui résonne le plus. J’aime les jeux qui ont développé leur propre terminologie pour désigner ce rôle particulier (Veneur, Gardien des rêves ou des arcanes, etc.), mais le vocabulaire employé ne s’applique qu’à un jeu particulier. Pour l’instant, cet article va donc conserver le terme générique (et genré) de “maître de jeu”, dans l’attente de trouver quelque chose de plus plaisant.

Les maîtres de jeu qui donnent la priorité aux règles

L’arbitre

Un des rôles fréquemment échus au maître de jeu est celui d’arbitre, c’est-à-dire celui qui va être responsable d’interpréter et d’appliquer les règles. En tant que type de maître de jeu, l’arbitre est le gardien des règles telles quelles sont écrites (“rules as written”, ou RAW). Il applique le cadre mécanique tel qu’il est défini dans la base (dans les livres officiels de règles). L’arbitre ne créée pas de règles “maison” pour compenser un éventuel “trou” dans les règles. Si un personnage fait tomber un chandelier sur les méchants, et que le type de dégâts assignés à “chandelier” dans les tableaux d’armes n’existe pas, l’arbitre a du mal à improviser une réponse satisfaisante.

De manière générale, il a de la difficulté à prendre une décision s’il n’y a pas une jurisprudence dans les règles officielles (comme dans une liste de questions courantes par exemple, mettons comme Sage Advice pour Donjons & Dragons).

Le fait de respecter scrupuleusement les règles facilite grandement l’intégration à la table de joueurs qui connaissent déjà le système utilisé ou de ceux qui ont besoin d’un cadre mécanique clair et précis. L’arbitre a donc une dimension rassurante pour les joueurs qui donnent la priorité aux mécaniques de jeu. Il correspond probablement au style de jeu d’un tacticien ou d’un ingénieur.

L’arbitre a tendance à interpréter les systèmes de résolution, et notamment leur part de hasard, de manière stricte. En d’autres termes, l’arbitre interprète le résultat des dés tels que cela est prévu par la base.

Si le jeu prévoit qu’il faut faire 12 jets de dés pour déterminer la météo, le sens du vent et la possibilité de rencontrer une embûche, l’arbitre va faire tous ces jets et interpréter les résultats tels qu’ils sont indiqués sur les tables fournies par le jeu.

Il faut donc s’attendre à ce que le déroulement de la partie, et donc la fiction, va être extrêmement dépendante des résultats des dés. Si les adversaires sont incroyablement chanceux et les personnages malchanceux, la partie peut avoir une fin brutale, et qui pourrait être considérée prématurée par les joueurs attachés à l’histoire ou à leurs personnages.

Au moins, il n’y a pas de favoritisme, ni pour un joueur, ni pour les personnages. Mais cela peut nuire au plaisir des attentes de certains joueurs (notamment ceux qui sont là pour l’histoire, comme l’investigateur).

Le maître de jeu arbitre va avoir tendance à utiliser des manières plus ou moins élaborées de représenter l’environnement imaginaire, afin de pouvoir appliquer correctement les règles. Cela peut être l’utilisation d’un plan, de figurines, voire de maquettes.

Pour l’arbitre, utiliser une représentation physique contribue à renforcer le sentiment d’immersion et l’exactitude. L’utilisation de tels artefacts peut au contraire nuire à l’immersion de certains joueurs, mais je n’entrerai pas dans le débat ici. Si des éléments de représentation vont être utilisés, ce serait par contre une bonne idée pour l’arbitre de le préciser aux joueurs, afin comme toujours de bien cadrer les intentions et gérer les attentes.

L’utilisation d’une grille pour les combats est un élément fréquemment employé par un arbitre. Cela renvoie aux racines “wargamesques” du jeu de rôle. Il fut un temps en effet où Donjons & Dragons n’était qu’un jeu de bataille entre figurines militaires.

Un des aspects décriés de la 4ème édition de Donjons & Dragons a justement été la mise de l’avant de l’utilisation d’une grille de combat et de figurines. Dans ce système, les déplacements se gèrent par case (plutôt que par mètres ou pieds) et le positionnement des combattants a une influence capitale sur leur capacité d’agir.

Si j’en parle ici, c’est pour souligner un des aspects possiblement problématiques de l’utilisation de grilles de combat pour un maître de jeu arbitre. En effet, un tel système fait en sorte que l’efficacité des combattants repose sur le sens tactique des participants.

Un arbitre très fort en tactique risque de pulvériser les joueurs. À l’inverse, s’il n’est pas un bon tacticien, ce sont au contraire les joueurs qui vont toujours prendre le dessus (surtout s’il y a des joueurs de type tacticien).

Sécurisant et juste, l’arbitre peut néanmoins avoir quelques difficultés avec des joueurs imaginatifs, qui l’obligeraient à improviser ou sortir du cadre habituel prescrit par les règles.

L’adversaire

Étant donné que le maître de jeu interprète les antagonistes, crée les conflits et place les obstacles auxquels les personnages des joueurs sont confrontés, son rôle peut être perçu comme étant celui d’un adversaire. Certains maîtres de jeu endossent d’ailleurs avec plaisir les habits de grands méchants : c’est le cas de l’adversaire.

Contrairement à l’arbitre qui essaie de rester impartial, l’adversaire joue contre les joueurs. Compétitif, il veut se montrer plus astucieux, plus brillant que les autres joueurs. Après tout, il est seul contre trois, quatre, peut-être même huit autres cerveaux!

L’adversaire créée des méchants hauts en couleur, redoutables et fourbes, il place des pièges diaboliques et le moindre élément de décor peut s’avérer être fatal pour les personnages. Les joueurs doivent intelligemment unir leurs forces pour déjouer ce Moriarty du jeu de rôle.

Bon, il faut tout de même relativiser l’exploit de vaincre un groupe de joueurs. D’abord, parce que le fait que le maître de jeu soit seul constitue pour lui un avantage. Les autres joueurs, eux, forment un groupe, et tant que groupe ils doivent discuter, faire des compromis ou atteindre des consensus. Le fruit de leurs discussions n’est souvent pas le choix optimal. Combien de fois avez-vous vu une bonne idée être lancée par un joueur pour finir diluée puis abandonnée par le groupe, au profit d’un choix moins audacieux?

Autre problème, le mérite de l’adversaire ne s’obtient que si elle fonctionne dans le cadre strict des règles. Le maître de jeu doit être encadré par le système, sinon il peut simplement pulvériser les personnages. Le système doit donc permettre de faire en sorte que le maître de jeu se comporte en adversaire. Il faut aussi s’assurer que les joueurs sont à l’aise avec le fait de développer ce type de relation avec le maître de jeu. Ceux qui cherchent une complicité vont être très déçus. Je pense notamment aux joueurs qui accordent une grande importance à l’histoire (investigateur, explorateur ou conspirateur).

Aussi, il est difficile de rester impartial lorsqu’on s’attache à ses méchants et aux obstacles savamment orchestrés qu’elle a placée avec fourberie sur le chemin des pauvres aventuriers. Si le maître de jeu se voit comme l’incarnation de l’adversité, pourquoi ne pas laisser le grand méchant sorcier s’enfuir plutôt que de laisser les héros remporter la victoire? Pourquoi ne pas fournir des pouvoirs déséquilibrés aux hordes sanguinaires qu’affrontent les personnages? La tentation est grande, et le système utilisé doit comporter quelques garde-fous pour que cela fonctionne.

L’adversité est un moteur crucial de la fiction, mais un maître de jeu qui devient l’adversaire peut aisément passer du côté obscur et transformer une session de jeu de rôle en sordide boucherie. Les joueurs risquent d’en sortir traumatisés. Par contre, ceux qui aiment les défis ludiques (tacticien ou optimisateurs) apprécient d’être mis à l’épreuve.

L’innovateur

Si certains maîtres de jeu (comme les créateurs de mondes) mobilisent leur imagination à la construction d’un univers imaginaire cohérent, profond, détaillé, l’innovateur n’a pas cette patience. Sorte de « savant fou », plein d’idées, il veut les expérimenter, tout de suite. Quand je dis « idée », il faut prendre cela au sens très large : il peut s’agir d’une situation, d’un univers, d’un système de jeu. L’innovateur a une nature curieuse et il se tient bien informé de l’évolution du jeu de rôle et des dernières publications. Cette curiosité alimente sa volonté d’essayer plein de trucs.

Une fois la partie enclenchée par contre, il peut rapidement se lasser. Soit parce que finalement son idée ne lui plait plus, ou qu’elle lui paraît décevante. Soit parce qu’il a trop envie d’essayer une nouvelle idée!

Typiquement, l’innovateur va s’enthousiasmer pour le dernier jeu qu’il a acheté, la dernière campagne qu’il a lue. Et il va convaincre avec moult arguments son groupe de se lancer dans une nouvelle aventure ludique. Les joueurs créent leurs personnages, apprennent à maîtriser le système et… Le savant fou a mis la main sur un nouveau bouquin : il veut absolument essayer la dernière version de l’Appel de Cthulhu ou de Shadowrun. Ou encore il a une super idée de campagne qui explore la souffrance des Aztèques envahis par les Espagnols au 16ème siècle.

L’innovateur peut donc être un maître de jeu parfait pour des aventures de formats courts. Il va pousser son groupe à expérimenter, à découvrir de nouvelles avenues ludiques. Il apporte un vent de fraîcheur pour des joueurs habitués à jouer à même système depuis des années. Il permet d’explorer différentes facettes du jeu de rôle (et il y en a beaucoup!). Si ces maîtres de jeu à la fois pionniers et colibris n’existaient pas, nous serions encore tous à joueur à Donjons & Dragons. Par contre, les fluctuations d’enthousiasme peuvent essouffler un groupe. Le déficit d’attention de ce savant fou et la facilité avec laquelle il change d’intérêt vont nuire à des joueurs qui aiment développer leurs personnages ou vivre une longue campagne.

Les maîtres de jeu qui donnent la priorité au monde

Le simulationniste

Le simulationniste veut que l’univers soit le plus crédible possible. Le plus réaliste possible. Il accorde une grande importance à la cohérence du monde imaginaire dans lequel sont plongés les personnages.

Ce monde imaginaire est hostile et il faut savoir se battre pour survivre. Le décor est placé, la situation est comprise, alors… Moteur, action! Attention, le simulationniste est un metteur en scène que dans la mesure où il met en place les éléments. Il ne dirige pas. Il ne va pas aider les joueurs à se sortir de l’embarras. Il va créer des situations complexes, dangereuses, terrifiantes et regarder les joueurs se débattre contre l’adversité. En cela il agit comme un dieu neutre, un « deus otiosus », une divinité créatrice qui n’agit plus ensuite sur le destin de sa création.

Pour le simulationniste, les conséquences sont importantes et il va respecter scrupuleusement la manière dont le système de résolution de conflits crée les conséquences (de manière peut-être moins rigide qu’un arbitre tout de même). Par exemple, il simulationniste n’a pas de problème à annoncer et appliquer les niveaux de difficulté associés aux résolutions. Il pourra également montrer les résultats de ses propres lancers de dés. Ce n’est pas tant par souci de transparence que par volonté de montrer que le monde est dur, dangereux. L’adversité ne broie les personnages que dans la mesure où elle fait partie du monde, ce n’est pas personnel.

Du fait de son attachement à la cohérence, à la vraisemblance, le simulationniste est un grand planificateur. Comme un bon dieu horloger, il va soigneusement huiler les mécanismes de l’univers, prévoyant des semaines à l’avance les différentes options que pourraient choisir de suivre les personnages.

S’il reste sévère sans être cruel, le simulationniste offre des aventures excitantes et intenses. Par contre, il donne plus d’importance au monde qu’aux personnages. Dans le cadre d’une campagne, il privilégie une approche basée sur l’intrigue qu’il souhaite développer plutôt que sur l’histoire ou les personnalités des personnages. Ses intrigues peuvent également se complexifier au point d’être difficiles à suivre si vous n’êtes pas Sherlock Holmes. Les joueurs « casual » peuvent être intimidés ou perdus, mais les amateurs de sensations fortes sont généralement ravis.

Le démiurge

Contrairement à l’arbitre qui va se contenter du matériel offert par la base, le démiurge ne saurait se satisfaire d’un univers écrit par un autre. Il a besoin d’exprimer son imagination et voit le rôle de maître de jeu comme celui d’un créateur de mondes.

Lorsque le démiurge se lance dans la création de son monde, il n’y va généralement pas de main morte. Il peaufine son univers en y ajoutant beaucoup de détails - de la cuisine à l’héraldique en passant par la numismatique ou le type d’étoffe utilisé pour faire les oriflammes.

Le démiurge va donc souvent prendre un système de jeu générique et bâtir son univers. Des systèmes comme GURPS, Rolemaster, FATE ou Simulacres conviennent parfaitement à ce genre de démarche.

Il y a cependant un risque de déséquilibre entre le système et l’univers. En effet, un système de jeu fait partie intégrante de la fiction, ce n’est pas simplement une armature sur laquelle on peut greffer n’importe quel habillage. Si le démiurge n’est pas sensible à ces enjeux, il peut y avoir des problèmes.

La force de ce type de maître de jeu repose sur l’intérêt des joueurs pour le monde créé. Si les efforts d’imagination déployés par le maître de jeu ne rejoignent pas les autres participants, la table risque de se retrouver dans une situation délicate dont l’issue sera probablement quelques blessures d’orgueil. La fiction générée par le jeu de rôle est à mon sens collaborative : des joueurs peuvent se sentir à l’étroit dans un monde trop fini.

En dehors de considérations sur la qualité de lu démiurge en tant que créateur de monde, il est important qu’il se pose la question : est-ce que les joueurs sont intéressés par la découverte d’un univers? Le démiurge présuppose en effet que l’intérêt du jeu de rôle repose avant tout sur l’exploration d’un monde fictif. Ce n’est pas pourtant ce que recherchent tous les joueurs!

Comme l’auteur est généralement prolifique sur sa création, il y risque de noyer les joueurs sous un déluge d’informations. Un des principes de maître de jeu est pourtant de savoir que la grande majorité des joueurs n’est pas capable de digérer plus de quelques informations par session!

En plus, l’attachement du maître de jeu à son monde risque de faire passer les personnages principaux en arrière-plan. La fiction devenant centrée sur le monde lui-même, les personnages deviennent davantage des touristes que des héros.

Le souci d’originalité du créateur risque de renforcer la désorientation des joueurs. Mettons qu’un créateur pourrait inventer des mots, des concepts à profusion pour différencier son univers, mais en perdant les joueurs. Si la maîtrise d’un vocabulaire particulier est nécessaire pour explorer le monde imaginaire, cela risque de décourager certaines personnes. D’autres seront par contre ravies.

Le passionné

Le passionné est un maître de jeu qui est un expert dans un monde ou un système en particulier et qui ne considère pas être maître de jeu en dehors de son univers ou système de prédilection. Son imaginaire ne résonne qu’à travers le prisme de l’objet de son dévolu. Il sait parler Klingon ou Noldo, il connaît les moindres détails des batailles de la Seconde Guerre Mondiale ou toutes les modifications qui ont été apportées au Millenium Falcon. Il maîtrise les règles au point de pouvoir servir facilement de référence aux maîtres de jeu arbitres.

On peut distinguer le passionné de système du passionné de monde. Lepassionné de système ne va jurer que par une manière spécifique et codifiée de jouer au jeu de rôle. Il peut être un adepte des idées forgiennes (si cela vous intéresse, lire Introduction à la Théorie de The Forge), de l’OSR (Old School Revival) ou encore des jeux propulsés par l’apocalypse (Propulsed by the Apocalypse).

Comme tous les fanatiques, le passionné va être offensé si les joueurs ne respectent les codes du système. Il peut également être un passionné par opposition, c’est-à-dire rejeter complètement une forme de jeu plutôt que d’adhérer à une en particulier. Il y a ainsi des maîtres de jeu qui font de l’exémas lorsqu’on parle de la Forge et d’autres qui partent en courant à la mention des initiales PtbA.

Le passionné de monde est, il me semble, plus courant. Les grands fans de Star Trek, Star Wars, Tolkien, Cthulhu ou Vampire viennent facilement à l’esprit.

Son savoir encyclopédique sur un monde en particulier fait en sorte que les aventures seront fidèles à l’esprit de l’œuvre originale. Jouer avec un maître de jeu qui est capable de réciter les poèmes de Tolkien par cœur peut être très impressionnant. De même pour celui qui est en mesure de récréer l’atmosphère particulière des œuvres de Lovecraft.

Par contre, le passionné sera (forcément) intolérant envers des joueurs qui oseraient sortir des canons esthétiques et narratifs de son univers chouchou. De plus, à force de jouer dans le même cadre, le groupe peut avoir besoin de changement.

Le maître de jeu amène souvent les aventuriers dans de sombres donjons.

Les maîtres de jeu qui donnent la priorité à l’histoire

Le narrateur

Pour le maître de jeu narrateur, l’histoire est la priorité. Pour être plus précis, c’est la ou les thématiques de la fiction qu’il veut explorer qui l’intéresse. Si c’est l’horreur cosmique qu’il désire mettre en scène, ses efforts vont se concentrer davantage sur les techniques narratives qui vont lui permettre de créer la sensation de peur chez les joueurs plutôt que le développement d’une cosmogonie lovecraftienne ou sur le réalisme historique du cadre dans lequel vont évoluer les personnages.

Ce n’est pas un dirigiste au niveau de l’action ou des événements, mais il tient à ce que l’atmosphère qu’il veut mettre en place soit respectée. Pour prolonger l’exemple sur l’horreur cosmique, si les joueurs se montrent inventifs pour échapper à la créature qui les poursuit, tant mieux, mais s’ils commencent à faire des blagues scatologiques et à transformer la course-poursuite horrifique souhaitée en pantalonnade, le maître de jeu narrateur va être terriblement frustré. Il veut que les joueurs s’investissent dans la fiction à fond, afin de pouvoir créer une fiction collaborative. Il se perçoit comme un facilitateur davantage que comme une entité toute puissante qu’il faut combattre ou séduire.

Ce n’est pas un conteur, dans le sens qu’il n’accorde pas une importance particulière aux détails. Le narrateur ne fait pas dans la dentelle quand il s’agit de décrire l’environnement ou les personnages. Il va droit au but, parce qu’il veut que l’action avance. Les conséquences n’ont pour lui d’intérêt que dans la mesure où elles servent la fiction. Il va avoir a tendance à interpréter de manière très libre les résolutions de conflit, de manière à ne pas nuire aux thématiques explorées.

Contrairement au simulationniste, le narrateur va se permettre de modifier les résultats « naturels » des résolutions pour ne pas nuire à des éléments de la fiction qui sont importants. Si les personnages sont supposés être de grands héros, il ne va tout de même les faire mourir parce qu’ils ont raté leur jets d’escalade en grimpant le mur d’enceinte d’un vieux château. Il peut donc agir en illusionniste, adaptant à la volée les seuils de réussite des conflits selon les résultats obtenus par ses joueurs.

Son intérêt pour les personnages est un facteur crucial de sa propre implication. Si les personnages sont peu développés, ou surtout s’ils ne lui plaisent tout simplement pas, il risque de perdre l’intérêt pour la campagne.

De même, si les joueurs se montrent passifs, peu enclin à prendre des initiatives ou apporter des idées susceptibles de nourrir l’histoire, le narrateur va dépérir.

L’acteur

Beaucoup de maîtres de jeu le deviennent parce qu’ils sont bavards et qu’ils aiment bien entendre le son de leur voix. L’acteur encore plus que les autres. Il va interpréter avec beaucoup d’effort et de conviction les personnages secondaires. Il utilise des accents, de la gestuelle, des maniérismes et il a beaucoup de plaisir à jouer des scènes de dialogues longues et élaborées. Cela peut être formidable pour les joueurs, les aidant à se plonger dans le monde imaginaire collectif. Si l’acteur a du talent (tout le monde n’est pas Matthew Mercer). S’il fait une belle performance, il ne doit pas faire un spectacle et réduire les joueurs à l’état d’audience.

L’acteur doit faire également attention à son penchant pour l’improvisation. Avec des effets de jeu (au sens théâtral), il peut facilement envoyer les joueurs dans une fausse piste. Le discours improvisé mais très senti du boulanger rencontré par hasard sur la difficulté de se fournir en farine pourrait encourager le groupe à se lancer dans une enquête qui n’a rien à voir avec la trame principale.

S’il a généralement une préférence pour l’interprétation des personnages, le maître de jeu acteur apprécie également les descriptions riches de l’environnement.

« La porte est en chêne massif, entourée de quatre bandes de fer lisses, polies et bien teintées, de couleur marron foncé, à l’exception d’une petite tâche plus noire située près du bas. Les charnières ne sont pas visibles de ce côté, mais vous remarquez que la serrure est finement ouvragée. Sa plaque frontale est en étoile, bordée d’or, de cuivre ou de laiton poli. C’est un peu difficile à dire à la lumière des flambeaux, mais le heurtoir est définitivement en fonte et vous voyez…»

Des descriptions soignées aident certainement à l’immersion. Par contre, elles sont difficiles à improviser et un long monologue descriptif peut endormir une table de joueurs rapidement.

Le dirigiste

Le dirigiste est un maître de jeu contrôlant qui a deux grandes orientations possibles : le tyran ou le modulaire (ou chef de train).

Le tyran tire plaisir de son statut d’autorité sur le jeu. Ce qu’il apprécie dans le jeu de rôle, c’est le fait de pouvoir contrôler l’univers, d’agir en tant que divinité omnisciente et omniprésente. Il se voit comme Zeus sur l’Olympe, jugeant de manière arbitraire ce qui se passe dans le monde des mortels.

Il ne va pas apprécier les initiatives des joueurs qui nuiraient à sa position d’autorité suprême. Il risque de ne pas aimer qu’un joueur en connaisse plus sur les règles ou le monde que lui. Il n’a pas envie d’être pris à défaut. Ne contestez surtout pas les décisions du contrôlant, il risquerait d’abattre sur vous toutes les foudres des cieux!

Un maître de jeu contrôlant peut être agréable dans la mesure où il joue son rôle de divinité de manière débonnaire. Si le plaisir des joueurs lui tient à cœur et qu’ils ne viennent pas jouer dans ses plate-bande, la partie va être agréable. Par contre, si le maître de jeu contrôlant se voit comme l’adversaire des joueurs, il peut devenir toxique et devenir Némésis.

Le modulaire est un maître de jeu beaucoup moins tyrannique, mais il impose un cadre structuré à l’histoire. Le terme « modulaire » ne vient pas du fait qu’il est livré en pièces détachées mais qu’il suit le « module », mot désignant autrefois les scénarios de Donjons & Dragons.

Tout le monde n’a pas l’imagination débordante d’un créateur de mondes ou d’histoires. Face à la nécessité de mettre en place un environnement, des figurants et des obstacles à la hauteur, certains maîtres de jeu vont préférer se tourner vers le préfabriqué plutôt que faire une campagne maison. Après tout, de nombreuses campagnes officielles sont réputées pour être excellentes.

Les Masques de Nyarlathotep pour l’Appel de Cthulhu ou la campagne de l’Ennemi Intérieur pour Warhammer reviennent fréquemment dans les listes des meilleures campagnes publiées. Il n’y a évidemment rien de mal en soi à suivre un scénario pré-établi. Par contre, le maître de jeu modulaire doit prendre garde à ne pas se montrer trop rigide dans son dirigisme, si j’ose dire.

Le maître de jeu modulaire va suivre le cheminement proposé par le scénario établi du début à la fin. Pour les joueurs, il faut jouer dans le cadre établi et se conformer aux possibles dirigismes, sinon point de salut.

Statue of the Madonna in the Mountains

Les maîtres de jeu qui donnent la priorité aux autres

La vedette

Un maître de jeu peut sentir une certaine frustration à ne pas être un acteur de l’histoire. Pourquoi laisser les autres joueurs être les vedettes? Pourquoi se contenter des seconds rôles et des figurants? Le maître de jeu qui veut intervenir directement sur le cours des choses va être tenté de créer un personnage qui va être en quelque son avatar, SON personnage.

Le maître de jeu vedette va alors peut ensuite intervenir drastiquement de deux manières. D’une part il peut déséquilibrer les forces en présence en volant littéralement la vedette aux autres joueurs, au moyen d’un personnage trop puissant par rapport aux joueurs. Trop puissant en termes de caractéristiques, de compétences, de capacités spéciales ou parce qu’il possède toutes les informations. Un détective qui vient résoudre l’enquête à la place du groupe par exemple. Ou un magicien qui fait face tout seul à un Balrog et connaît une fin tragico-héroïque. Ce type de maître de jeu déplace le projecteur dans sa direction, privant les joueurs de leur agentivité.

Une autre manière pour un maître de jeu vedette de s’exprimer est plus subtile : il va interpréter un personnage secondaire, et va encourager ou créer des situations dans lesquelles l’action joue un grand rôle, afin de se donner l’impression d’être un joueur. Il va être membre de l’escadrille Rogue qui se lance à l’attaque de l’Étoile de la Mort. Il va être l’écuyer courageux qui va aider les héros à vaincre le dragon rouge.

Il y a donc deux sous-types de maître de jeu vedette. L’un le fait par narcissisme ou par dirigisme. Il veut faire partie de l’histoire et considère que les joueurs ne sont pas à la hauteur ou risquent de tout gâcher. L’autre est souvent un maitre de jeu qui aimerait bien être joueur, mais qui est confiné au statut de maître de jeu par habitude ou par défaut.

Le gentil organisateur

Le gentil organisateur veut juste que tout le monde soit heureux autour de la table. Il ne se perçoit pas comme un adversaire des joueurs, mais comme un animateur du spectacle. Contrairement au simulationniste qui reste neutre, il veut que les personnages survivent et il va toujours se montrer incroyablement généreux en termes de récompenses.

Les personnages sont en danger et leur mort est imminente? Pas de problème, il y aura toujours un « deus ex machina » pour les sauver (la cavalerie n’est jamais loin). Vous aimez les trésors bien fournis? Pas de problème, voici un joli coffre rempli de pièces d’or et une épée vorpale en prime.

Personnellement, je vois deux aspects négatifs majeurs au style « gentil organisateur ». D’une part, il s’agit souvent d’un maître de jeu qui recherche constamment à être valorisé. Il veut que les autres joueurs l’apprécient et le trouve « cool ». Ce n’est pourtant pas en donnant des cadeaux à tour de bras qu’on obtient le respect des autres. Le fait de constamment chercher l’approbation des joueurs ou de se soucier de manière trop fréquente de leur état d’esprit peut sérieusement taper sur les nerfs. D’autre part, à force de présenter des obstacles faciles à résoudre et à donner des récompenses, les joueurs vont sentir qu’il n’y a pas vraiment de risque. « À vaincre sans péril on triomphe sans gloire. » Cela peut complétement décourager les joueurs qui voient le jeu de rôle comme un défi à relever. Ceux qui accordent beaucoup d’importance au respect des règles peuvent aussi être choqués par la mansuétude du maître de jeu.

Par contre, c’est loin d’être un style complètement négatif. Tout le monde n’a pas forcément envie de démêler des intrigues compliquées, d’explorer des univers touffus ou de vivre des parcours initiatiques. Les joueurs qui veulent simplement se détendre au cours d’une soirée, massacrer des monstres et piller des trésors en restant confortablement assis dans leurs pantoufles adorent le gentil organisateur. Je pense notamment aux joueurs bagarreurs. Ce style de maître de jeu convient également parfaitement aux joueurs débutants.

Le dilettante

Le mot dilettante est ici employé dans son sens de celui qui s’occupe d’une chose en amateur. Il ne faudrait pas par contre le voir en opposition à un professionnel, car la notion de maître de jeu professionnel n’existe pas dans le cadre de cette typologie.

Je vois deux formes de maître de jeu dilettante : le maître de jeu par défaut et le maître de jeu par émulation.

Le dilettante par défaut est celui qui se dévoue à assumer le rôle de maître de jeu. Il ne devient pas maître de jeu par goût, mais parce que personne d’autre dans son groupe ne veut le faire. Il n’a pas par conséquent un enthousiasme particulièrement grand pour la tâche, mais il veut faire plaisir (ce qui est tout à fait louable).

Le dilettante par émulation lui est au contraire plein d’enthousiasme. Non seulement il veut être maître de jeu à tout prix, mais surtout il rêve de faire comme le ou les personnes qui lui ont donné la piqûre du jeu. Il a souvent été très impressionné par son premier maître de jeu, celui qui lui a fait découvrir le jeu de rôle, ou celui qui l’a « initié » comme on dit (trop souvent). Le jeune padawan veut marcher dans les pas de son maître spirituel ou de ceux des stars qu’il a vu sur YouTube ou Twitch, comme Chris Perkins.

Dans les deux cas de dilettantisme, le résultat est assez semblable : une préparation de partie brouillonne ou mal orientée qui finit par ne pas être très fonctionnelle.

Si les joueurs soutiennent adéquatement le dilettante, en prenant des initiatives et de fait en gérant une partie de ses tâches, en valorisant ses bons coups et en pardonnant ses mauvais, une bonne synergie de table peut s’instaurer. Mais cela demande généralement beaucoup de bonne volonté de la part des joueurs.

Bibliographie